Le médecin marocain inconnu

D’après les ressources du « MÉMORIAL HENRI BASSET » 1928.

On fait généralement remonter à Andréa Cesalpino. médecin et naturaliste toscan, né à Arezzo vers 1524, l’honneur d’avoir énoncé le premier les règles d’où devait sortir plus lard le système moderne de classification des végétaux.

On ne trouve pas chez les grands naturalistes arabes de l’époque florissante de l’Islam, même chez Ibn al-’Awwâm (Xe siècle) et Ibn al-Baytâr (XI siècle), le souci d’une classification raisonnée. C’est toujours la même méthode de comparaison grossière entre les formes extérieures des plantes, et spécialement les feuilles. Trois siècles plus tard, nous voyons encore en France figurer une « Table des natures, différences et similitudes des parties des plantes », conçue dans le même sens, essai rudimentaire d’un tableau synoptique établi selon le nombre, la dimension, la consistance, la couleur, le goût et l’odeur des diverses parties de la plante, sans cependant qu’apparaisse la notion d’une parenté entre les espèces décrites.

Même le médecin le plus connu des médecins arabes de l’époque « 1580 », Dâwûd al-Antâkî, d’Antioche –Antakya- dont le célèbre ouvrage médicale, at-Tadkira, si répandu dans tout l’Islam, continu de suivre, à peu de chose près, dans sa description des plantes utilisées en médecine, les errements anciens.

Le Dr H. P. J. RENAUD dit : « Aussi, avons-nous éprouvé un vif intérêt au déchiffrement d’un manuscrit arabe marocain, dalé de la fin du XVI siècle, et consacré lui aussi à la matière médicale, en constatant chez son auteur un essai de classification des plantes qui, malgré ses imperfections, s’avère comme nettement supérieur à la méthode de description du médecin d’Antioche, et témoigne d’un progrès réel sur les conceptions de ses devanciers »

Il s’agit de l’ouvrage intitulé Hadiqat al-azhâr fi sarh mehiyat al-’ushb wa’l-’aqqùr « le jardin des fleurs, pour l’exposition des caractères des herbes et des drogues (végétales)», dont l’auteur se nomme Qâsim b. Muhammad al-Wazïr al-Gassânï.

Il fut médecin du sultan sa’dien Ahmad al-Mansûr a Dahbi. Son manuscrit est gardé chez le bibliophile fasi, Sîdî Muhammad ‘Abdal-Hayy al-Kattânï.

Les citations d’auteurs, qui encombrent le traité d’Ibn al-Baylâr, sont exceptionnelles chez al-Gassânï. Le plus souvent cité est Muhammad Ibn ‘Abdûn, médecin andalou du X siècle.

La description botanique a souvent une allure originale, al-Gassânï manque rarement d’indiquer les gîtes des espèces qui croissent à proximité de Fès, notamment au Jebel Zalâg, d’où l’on apporte une grande partie des herbes vendus au souq des ‘as’sâbïn. On voit qu’on a affaire à toute autre chose qu’à un de ces compilateurs qui foisonnent dans la littérature scientifique des Arabes ; al-Gassânï, comme Ibn al-Baytâr et Abu M-’Abbâs an-nabâtï, est un véritable naturaliste. Il a parcouru le Maroc, sans doute à la suite du sultan Ahmad al-Mansûr; il a récollé la Lavande Stoechas à Tagia près du tombeau de Moulay bou Azza; cueilli la poire sauvage dans la foret de la Ma’mora, l’Armoise ponlique dans les Steppes de Debdou. Il cite, à propos de l’Antimoine— un des rares minéraux dont il est parlé dans la Hadîqa — les mines des Béni Tajjït, au Sud de Misour.

La Hadiqa nous documente, enfin, sur la plupart des produits pharmaceutiques vendus à Fès chez les marchands d’épices ‘atârin ou les droguistes sayâdila. La méthode de classification botanique innovée par al-Gassâni, et qui constitue un des points originaux de son oeuvre, quand on la compare aux ouvrages arabes sur le même sujet est le principe de classification à deux et trois degrés.

L’auteur distingue :

- une division primaire : al-jins, en français genre.

- une division secondaire : an-naw’ mot traduit habituellement par espèce.

- une division tertiaire : as-sanf, qui signifie catégorie, variété.

La division caractérisée par le mot jins représente ordinairement la classification des Anciens en arbres, arbustes, arbrisseaux et plantes herbacées.

La division secondaire indiquée par le mot naw’ représente un caractère accessoire, comme le fait, pour un arbre, d’être épineux, pour une plante herbacée, d’avoir une tige rampante ou une racine bulbeuse.

La troisième division indiquée par le mot sanf, qui constitue la subdivision tertiaire. La chose inédite dans le système d’al Gassânï est la création de pluriels : Sihâl, les Armoises ; Kulûh, les Férules ; Sa’âtir, les Sarriettes, etc. Qui est le premier pas vers la conception des familles de végétaux. Par exemple : an-Na’na’ (Mentha viridis) est du jins des Ahbâq (Basilic) du naw’ des Sa’âlir et du sanf des Fûdanjat.

On peut conclure de ce qui précède, qu’il y a dans l’ouvrage d’al-Wazïr al-Gassânï, en dépit de ses défauts, un essai vraiment intéressant de classification à trois degrés, qui apporte dans la description des plantes de la vieille pharmacopée orientale un élément nouveau. Il suffit de comparer un paragraphe de la Hadiqa au paragraphe correspondant de n’importe quel ouvrage arabe antérieur ou contemporain, traitant du même objet, pour être convaincu. Bien plus, on ne trouve rien d’analogue même dans un ouvrage postérieur d’un siècle est demi, comme le Kasfar-Rumùz, de ‘Abd ar-Razzâq al-Jazâ’irï.

Le système d’al-Gassânï nous a paru quelque chose de trop insolite dans les ouvrages arabes.  Il représente une description botanique qui repose sur une classification véritable, supérieure à celle des Anciens.

La Hadiqat mérite d’être publiée. Elle intéressera les botanistes, les naturalistes et tout les marocains soucieux d’utiliser des plantes pour leur bien au lieu de dolipranne, advil et les autres drogues synthétiques…

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>